Je continue dans mes posts didactiques, inspiré par une mésaventure arrivée à Versac. En effet, voici un esprit brillant, cadre supérieur, une star de la télé et du web, aux prises avec un service client récalcitrant, décidé à porter le fer jusqu'au prétoire, mais qui du coup, réalise avec stupéfaction qu'il ne sait pas comment faire.
Et la même mésaventure arrive aux étudiants en droit tout frais émoulus de la fac, ayant décortiqué un semestre durant les arcanes de la procédure civile, la théorie de l'action, la différence entre les exceptions et les fins de non recevoir, la litispendance et la connexité, la répartition des compétences entre le juge des référés et le juge de la mise en état, mais incapables de mettre en branle la machine judiciaire, comme je faisais remarquer récemment à l'un d'eux.
Alors, si vous voulez faire un procès à votre voisin, mais ne voulez pas aller voir un avocat, le montant de l'enjeu étant dans ce triangle d'incertitude où il est trop élevé pour qu'on veuille baisser les bras, mais pas assez pour justifier l'intervention d'un justicier tout de noir vêtu (non, pas Batman, moi), comment faire ?
Voici un petit vade mecum.
Tout d'abord, limitons strictement le domaine de ce vade mecum : il s'agit du petit litige entre particuliers ou avec un professionnel, d'origine contractuelle, typiquement de la consommation, d'un montant inférieur à 10.000 euros.
Il ne s'applique pas aux litiges :
avec votre employeur
C'est le domaine du Conseil de prud'hommes.
avec l'administration
C'est le domaine du tribunal administratif voire du Conseil d'Etat. On ne peut pas gagner ce type de contentieux : on ne vit pas assez vieux pour connaître le jugement.
lié à une contravention, un délit ou un crime.
Portez plainte, et si c'est sérieux, allez voir un avocat.
de plus de 10.000 euros.
L'avocat est obligatoire. Vous ne pouvez rien faire tout seul.
Il peut s'appliquer aux litiges avec votre bailleur, mais quel que soit le montant (même inférieur à 4000 euros ou supérieur à 10.000), c'est le tribunal d'instance qui est compétent.
Phase 1 : Avant le procès.
Un procès est comme une bataille, la métaphore militaire est appropriée, et le vocabulaire illustre cet affrontement : si l'attaquant est appelé demandeur, on parle bien de défense (et de défendeur), une partie triomphe, l'autre succombe.
Or une bataille, ça se prépare. L'Art de la Guerre de Sun Zi devrait être une lecture obligatoire en fac de droit. Arriver devant un juge la main sur le coeur et sûr de son bon droit est le plus sûr moyen de se prendre une claque.
Voici les étapes préalables indispensables.
Matériel :
une table dégagée, au moins 1m² de disponible, bien éclairée ;
une chaise confortable ;
Un bloc note et un stylo ;
une machine à écrire ou un ordinateur avec imprimante ;
S'il est connecté à internet c'est pas plus mal, vous pourrez lire mon blog pour vous changer les idées ;
une tasse de thé, idéalement Darjeeling Margaret's hope second flush SFTGFOP, 2,7g pour 20 cl d'eau à 95°c, infusé trois minutes, pas de sucre, pas de citron, pas de lait, rien ;
une aspirine, 500 mg minimum ;
Installez vous confortablement, vous allez lire.
Étudier le terrain : lire le contrat.
C'est la pièce essentielle, centrale. C'est lui que le juge va appliquer. Pour un contrat de vente, il s'agit classiquement des "conditions générales de vente" figurant généralement au dos de la facture ou du bon de commande. Lisez les clauses, elles définissent les obligations de votre cocontractant, et c'est à cette aune que le juge appréciera son comportement.
Connaître l'état des troupes : lire la loi.
Nul n'est censée l'ignorer, mais si vous allez devant un juge, vous êtes censée connaître celle qui s'applique à votre cas. Ne vous contentez pas de lire sur internet ou dans Réponse à Tout que "la loi dit que..." ou même "la loi du 18 juillet 2005 dit que". Si vous avez ses références, allez la lire sur Légifrance. L'aspirine peut s'avérer utile ici. Service-public.fr peut vous aider à trouver les textes applicables à l'espèce. Cet aspect qui est anecdotique pour un juriste est le plus difficile pour qui veut agir seul en justice. Faites particulièrement attention aux délais que la loi impose parfois pour agir en défense de ses droits. Prenez des notes, faites vous des fiches. Vous commencerez à comprendre pourquoi un avocat rend service.
Connaître l'ennemi.
Faire un procès, c'est bien, mais à qui ? Si c'est à une personne physique, il n'y a guère de difficulté : vous devez connaître son nom et son domicile. Si vous avez signé un contrat avec lui, vous le connaissez forcément.
Si c'est une société, c'est plus difficile, car souvent, le nom sous lequel vous le connaissez n'est peut être qu'une enseigne, et c'est une société au nom fort différent qui est votre cocontractant. Et en cas d'erreur, la procédure est nulle.
Par exemple, si vous voulez faire un procès au Mac Quick de votre quartier qui vous a servi du soda Light au lieu du modèle Diabetic : si vous attaquez le restaurant Mac Quick du 22, Boulevard Eolas, vous risquez fort de vous retrouver seul au tribunal. La plupart de ces restaurants sont gérés par des SARL autonomes, qui ont signé un contrat avec Mac Quick France qui leur permet d'exploiter leur marque contre rémunération (c'est ce qu'on appelle un contrat de franchise). Et MAc Quick France n'est PAS votre cocontractant.
Cette information doit figurer en principe dans le contrat. Ce n'est pas toujours le cas. Dans ce cas, cherchez son numéro SIREN, ou RCS (Registre du commerce et des Sociétés). C'est un numéro à 9 chiffres, accompagné du nom d'une ville. Par exemple, Paris 987 654 321. Il figurera sur le ticket de caisse, à tout le moins. Allez sur infogreffe, et vous pourrez connaître gratuitement le nom et le siège social, ainsi que la forme de cette société (SARL, SA, SAS, SNC...).
Par exemple, Infogreffe a pour numéro RCS le numéro 338 885 718 Paris. Cela signifie que cette société est immatriculée au registre du commerce et des sociétés, et grâce à cela, on apprend qu'il s'agit d'un groupement d'intérêt économique, dont le siège est à Paris 12e, 4 place Félix Eboué.
Société.com fournit encore plus d'information, notamment le nom des dirigeants et l'existence d'éventuelles procédures de liquidation et là aussi gratuitement.
L'ultimatum et l'affichage des objectifs de guerre : la mise en demeure.
Ne saisissez pas d'emblée le juge, même si vous êtes persuadé que votre adversaire ne réagira pas. Un dossier se prépare et se monte. Montrez au juge que si vous l'obligez à se trimballer un lourd dossier de plus chez lui alors qu'il pourrait lire mon blog ou le dernier Harry Potter (qui commence très fort, ça semble un excellent cru), c'est que votre adversaire ne vous a pas laissé le choix.
Adressez un courrier en recommandé AR à votre adversaire, en vous identifiant clairement, et en posant en termes simples et mesurés les termes du litige. Vous avez acheté tel jour à tel endroit ce produit (avec numéro de contrat ou de facture, et copie dudit document), il s'était engagé à ceci ou cela, mais tel problème est survenu qui entraîne telle conséquence pour vous (le produit ne marche pas, n'est pas conforme, la livraison n'a pas eu lieu ou avec retard). Vous avez fait les démarches suivantes pour régler le problème ou contacter ses services pour qu'ils fassent en sorte de le régler (appel au service client qui vous a répondu que, courrier à tel service dont copie ci-joint, etc), mais aucune solution satisfaisante n'en est sortie parce que... (le bien n'est toujours pas livré, vous n'avez pas été remboursé malgré les promesses verbales,etc). En conséquence, vous exposez ce que vous réclamez (le remboursement des sommes que vous avez payées, des frais que vous avez dû exposer pour régler en urgence le problème, etc...), et concluez que faute de réponse de leur part sous un délai que vous fixez (tenez compte de la complexité du dossier, huit jours est un minimum, 15 jours est raisonnable), vous saisirez de ce problème la juridiction compétente.
Ce courrier avec l'AR signé sera une pièce importante de votre dossier devant le juge. Veillez donc à ce que le ton soit mesuré, expose les faits clairement et explique en quoi votre adversaire est fautif. Éviter par dessus tout les déclarations outrancières et injurieuses, elles ne feront qu'agacer votre adversaire, et surtout le juge quand il la lira, et embrouiller votre message. Inutile de dire que ce sont des nuls ou des escrocs, que leur hotline est à chier et que leur personnel est incompétent. Ils le savent probablement déjà, c'est très mal élevé de leur rappeler. Si vraiment le comportement de votre adversaire a été à mi chemin entre la stupidité et la malhonnêteté, permettez vous tout au plus de dire avoir été "surpris" de la réponse des services de votre adversaire.
Choisir le lieu de la bataille : déterminer le tribunal compétent.
Vous ne pouvez pas aller devant n'importe quel tribunal. Dans le cadre de ce billet, seuls deux juridictions sont susceptible d'entendre vos doléances, la différence se faisant en fonction du montant : s'il est inférieur à 4000 euros, c'est la juridiction de proximité. S'il est entre 4001 et 10.000 euros, c'est le tribunal d'instance.
Les deux n'ont rien à voir, c'est le jour et la nuit. En effet :
Le tribunal d'instance est composé d'un seul juge, assisté d'un greffier. La juridiction de proximité aussi. Le tribunal d'instance siège dans un lieu appelé le tribunal d'instance. Le juge de proximité siège aussi dans le tribunal d'instance. La procédure devant le tribunal d'instance est orale et simplifiée. C'est exactement la même qui s'applique devant la juridiction de proximité.
Alors, où est la différence ? Elle est fondamentale : le juge d'instance porte une robe, le juge de proximité porte une médaille en sautoir.
Mais quel tribunal d'instance, quelle juridiction de proximité ?
En principe, celle du domicile de votre adversaire. Là, vous ne pouvez pas vous tromper. Mais si vous habitez Dunkerque et que adversaire est à Marseille, pour un contrat à 150 euros ?
Vous pouvez également saisir la juridiction du lieu de livraison de la chose ou de la prestation de service si elle peut être localisée. Si c'est un litige avec votre assureur, c'est toujours le tribunal de votre domicile. Si le contrat prévoit une clause attribuant la compétence à tel tribunal, et que vous êtes un consommateur face à un professionnel, cette clause ne vous lie pas. Vous pouvez saisir ce tribunal si ça vous arrange, sinon, vous appliquez les règles ci dessus.
Tout cela est bel et bien beau, mais vous habitez Beffu-et-le-Morthomme, et du diable si vous savez de quel tribunal vous dépendez.
Ha, les Ardennes, quelle chance vous avez. Et bien sur cette page du ministère de la justice, tapez votre code postal, et vous saurez ainsi que votre tribunal d'instance est celui de Vouziers, votre tribunal de grande instance celui de Charleville-Mézières, votre Cour d'appel est à Reims, et votre Conseil de prud'hommes à Sedan.
La déclaration de guerre : la saisine du tribunal.
Votre dossier est complet et classé, votre tube d'aspirine est vide, votre tasse de thé est terminée, votre bloc est noir de notes, votre AR est revenu dûment signé il y a quinze jours, et toujours pas de réponse de votre adversaire. Qu'importe, vous êtes prêt. Que vole le tocsin. Brandissez l'oriflamme, sonnez les buccins, roulez les tambours, cette fois, c'est la guerre.
Mais la phase 1 est terminée, ainsi que ce billet.
La phase 2 sera l'objet du prochain épisode, où l'on remplit moult papiers, écrit à nouveau des lettres, pour finalement plaider comme Démosthène.